I. Descendre dans l’abîme

 9. Adrénaline.

“Sandrane remonte dans la ville par les quartiers insalubres suivis de ceux aux vitrines de luxe. Alors qu’elle roule à travers les strates sociales aussi vite que le permet le trafic, son cerveau flashe des images récentes. Le rictus anxieux de Bastion, des boyaux alignés comme des cordes de guitare, des flics neutralisés comme des mômes punis et un escadron, sans visage, insonore. Et puis le sifflement des pales mortelles du drone qui se code dans sa mémoire… comme une donnée traumatique qui migrera de son hippocampe vers le bulbe logé dans son cerveau reptilien. Et un nouveau reflexe de fuite sera gravé.

Sandrane écoute. Rien, aucun oiseau de proie. Pourtant elle tremble comme une feuille. Ses muscles se relâchent, des larmes sans pensée coulent, son sourire est à huit heures vingt. Un affichage mécanique de son affaissement nerveux. Sandrane n’a pas atteint le seuil d’habituation à la mort, les spectres sans nom qui ont saisi Bastion n’auraient pas bronché eux. Leur pompe n’aurait pas pris dix battements. Même avec un canon en acier froid vissé sur leurs tempes.

Pour elle c’est tout l’inverse. Même si la chasse est finie elle biosynthétise encore de l’adrénaline à plein régime. Ses pupilles, ses vaisseaux sanguins et ses bronches sont dilatés à l’extrême et son système digestif comme son utérus se sont mis en veille. Tout le sang est dans ses jambes, les seuls membres vitaux. Elle vit une confrontation à l’opposé de celles avec caïds de la pègre. Avec eux, Sandrane connaît les protocoles culturels, les codes à respecter, les astuces pour rester en vie et prendre l’avantage. Ici la vitesse est imposée, les projectiles fusent avant tout dialogue. Son prédateur est inhumain.

La quantité d’informations la surcharge. Elle prend du retard sur la réalité et oublie sa destination, pourtant très proche. Sa carte mentale se fragmente. Elle doit opérer un repli stratégique. D’instinct elle se replie dans une impasse, se jette derrière une benne à ordures comme on entre dans un terrier et s’efface de la lumière du jour. Précaution irrationnelle : une écharpe autour du visage et capuchon rabattu.

Doc Déglingo habite la « la cour des miracles », la plus grande zone de transition sociale pauvres-riches. Les constructions comme les gens y sont hétéroclites, mélangés comme l’eau et l’huile, dans cet entre-deux temporaire, cet ascenseur dans lequel se croisent ceux qui se hissent vers une vie meilleure et ceux qui chutent dans la misère morbide. Un bricolage identitaire et surréaliste qui se reflète jusque dans le décorum urbain, comme si ses artistes des lieux étaient hypnotisés par lles résilients et les anéantis.

Le spectacle de “la cour des miracles” reconnecte Sandrane à Canis horribilis. Ce présent sensoriel la recentre, l’itinéraire se recoud. Elle était déjà arrivée sans le réaliser. Elle respire profondément. Trois fois. « Allez, debout mon amie ».

Tout de même sa mémoire musculaire lui commande encore une méfiance extrême. Elle ne risque qu’un œil en direction de l’appartement où habite Doc et cette précaution la sauve. Autour du domicile de son complice plane un essaim de drones, de guêpes vengeresses qui ont cerné leur proie. L’adrénaline inonde à nouveau le système sanguin de Sandrane. Ce sifflement, ce satané signal qu’elle porte déjà en elle se réveille.

Elle a besoin d’un bilan rapide, maintenant. Elle est pourchassée, Doc Déglingo est foutu, « Mais, pourquoi ? ». Alors que ses pensées partent en spirale, son esprit replie sur lui-même et lui rappelle l’instruction préprogrammée : « Dans ce cas se rendre au refuge de dernier recours ». Le refuge qu’on ne quitte plus. Son dernier Bastion.

< 8. "Speed race"

I. Liste des sections

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